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8 janvier 2015 4 08 /01 /janvier /2015 01:48

Article publié dans la Presse nouvelle magazine, journal de l'Union des juifs pour la résistance et l'entraide, n°262, janvier-février 2009

Le petit juif de Tunis

Il a un nom polonais. Il est l’un des symbole de la libération crayonnée de mai 68 et pourtant… il est né à Tunis. Rencontre avec Georges Wolinski.

 

Code au pas de la porte. Escalier à gravir. En haut de l’escalier, le Saint des Saints. L’appartement, l’atelier de Georges Wolinski. Souvenirs. Mai 68 et après, la pub de Mars détourné et qui donne : « un coup de barre, Marx et ça repart ». Hara-Kiri, pour sûr, et ses déclinaisons : Hara Kiri Hebdo, l’Hebdo Hara Kiri, Charlie Hebdo après l’interdiction du précédent. Le mensuel Charlie surtout où Wolinski nous faisait découvrir la grande BD américaine. Le dessin de presse, chaque jour, à la Une de L’Humanité ; Paris-Match ; le JDD. (Excusez cette parenthèse personnelle : celle que j’aimais, moi, c’était Paulette, la Paulette de Pichard et Wolinski… Ceux qui savent me comprendront…)

Chevalets, sculptures, tableaux et dessins au mur. Bibliothèque débordant, regorgeant de livres, on parle du temps. De celui d’il n’y a pas si longtemps, de l’autre côté de Notre mer, la Méditerranée, quand Wolinski Georges, fils d’un juif polonais qui avait transité par l’Egypte et d’une juive italienne, était un petit tunisien (presque) comme un autre. Un gosse sale à défaut d’être un sale gosse, qui aimait se promener dans les ruelles. Wolinski et les Juifs, c’est toute une histoire. Je me remémore le live pamphlet écrit autrefois par André Wurmser, écrivain de talent, injustement mis à l’écart parce que communiste, éditorialiste, billettiste à l’Humanité : « l’Eternel, les juifs et moi ». Il y a de l’éternité chez Wolinski : l’éternité des amours, l’émoi devant les femmes, la soif de la justice ; les juifs, il va nous en parler, justement et « le moi », c’est-à-dire lui, il est présent partout dans son œuvre. Et pourtant, il n’y a pas plus humble que Georges…

La vie du petit tunisien commence tragiquement. Son père, ferronnier d’art est assassiné à coup de révolver par un de ses ouvriers révolté, alors qu’il avait deux ans. Ce qui fera dire à la grand-mère : « ton père a été tué par les communistes ». Mais, voilà, un des oncles de Georges, le mouton noir de la famille (ou peut être devrions nous écrire, le mouron rouge), est un militant communiste, secrétaire de la section du PCI de Tunis, qui a pris le petit Georges sous son aile et lui fait découvrir la lecture.

Bref, revenons aux Juifs.

« Je suis Juif, dit Wolinski qui comme chacun ne le sait pas a « fait » sa bar-mitsva à Tunis, comme Obama est noir : je suis né comme ça. Je ne renie pas mes origines, mais je suis un laïc : plus qu’un laïc, un athée. J’ai une méfiance vis-à-vis de la religion juive qui est aussi importante que vis-à-vis des autres religions, l’islam ou la chrétienté. J’ai plus confiance dans les gens qui ne croient pas que dans les gens qui croient. » Ce qu’il a connu de juif à Tunis et qu’il a perdu en France, c’était Pessah (Pâque)  et le shabbat : « toute la famille se réunissait le vendredi, sauf mon oncle Victor (1) qui était communiste italien. Or, ma famille était anticommuniste. »

 « J’ai vécu à Tunis comme un petit juif ». Aux juifs tunisiens d’origine s’étaient ajoutés des juifs venus du Portugal et d’Italie. « Les Arabes, note Georges Wolinski, les avaient bien reçu, mais ils n’avaient aucun droits : les juifs n’avaient pas d’existence légale. Les Français ont facilité la naturalisation des Juifs. Mes parents ont été naturalisés en se mariant et  c’est ainsi que je suis né français. »

« Très petit, j’aimais me promener dans la Médina. J’allais me perdre  [dans le quartier réservé] et je regardais les filles. » A Paris, dans les années soixante, Georges erre dans Belleville qui « était complètement juif ». Il y dégustait des bricks à l’œuf : « ça me rappelait à Tunis, la rue de Marseille, où à côté de la maison il y avait un marchand de beignets, saupoudrés de sucre, qu’on ramenait à la maison. »

Gosse sale, c’est lui, Georges, qui le dit : « dans l’appartement, il n’y avait pas de salle de bain, simplement un lavabo dans les chiottes. On se lavait le samedi dans une bassine. C’était une époque où c’était normal d’être sale, mais la mer, la nature, elles, étaient propres. »

La Tunisie, la guerre d’Algérie où Georges Wolinski sert dans le désert et où il en profite pour dessiner. C’est là qu’il termine son hommage si particulier à Victor Hugo en illustrant la totalité de Après la bataille (vous savez : « mon père ce héros au regard si doux… »), que Cavanna s’empressera de publier dans Hara Kiri (le mensuel).

Quant au conflit proche oriental Wolinski pense qu’il est « très difficile » d’avoir « une opinion juste ». « Je ne prétends pas, dit-il, détenir la vérité. Je suis Français, donc je pense qu’une démocratie ne doit pas s’appuyer sur la religion. Ce n’est pas à la religion de faire la loi. C’est ça qui me choque en Israël et dans les pays musulmans intégristes. »

 

Jacques Dimet

 

(1)  L’oncle Victor a été placé dans un camp de concentration à Kef, comme militant communiste italien, jusqu’à la fin de la guerre

 

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